Au départ, il y a la matière brute. Puis vient l’artisan armé de ses outils avec ses envies ; envies de transformer, de façonner, de créer. Il sait qu’en travaillant cette matière il trouvera sa liberté. Son travail est un besoin urgent de vivre, d’exprimer au monde ce qu’il a à l’intérieur de lui pour le partager avec celui qui est prêt à le recevoir. Son travail est l’expression de sa personne et il lui permet de se révéler au monde.

   «Tout art jouit du privilège d’exprimer le monde à sa manière.»
Etienne Decroux

Tout commence par une vision, un transport à travers le temps qui lui permet d’imaginer le résultat de son ouvre terminée.  Vision qui ne correspond que très rarement au résultat final qu’il avait vu, car rien n’est vraiment définitif dans sa pensée.

Alors, l’artisan commence à travailler la matière. Il est porté par son talent, parfois même  dépassé par lui – un peu comme s’il n’était plus le seul maître de sa création. Son principal atout est son intuition, une tendance instinctive à sentir ce qu’il fait sans être forcément toujours capable de l’expliquer par des mots.     Ce qu’il extériorise dans son ouvre est ce qu’il ressent ici et maintenant avec les bagages techniques, culturels, qu’il a accumulés depuis des années et ce petit filet d’intuition qui le suit partout.

 «Un arbre pour grandir en taille et en beauté, doit soigner ses racines. L’homme doit connaître ses racines, les aimer, les soigner, les comprendre et non pas s’en couper. Pourquoi ? parce  qu’il est le résultat de ses racines.»
Pierre  Delorme

Parfois, une difficulté rencontrée le fait  dévier du chemin qu’il s’était tracé. Elle lui permet de rencontrer, quelquefois, des routes secondaires bien plus belles qu’il ne l’aurait imaginé. Il ne doit pas lutter contre cette difficulté, au contraire, il doit se laisser transporter vers d’autres inspirations; comme l’eau qui, lorsqu’elle rencontre un obstacle, le contourne naturellement sans effort. Il doit rester souple dans son imagination, presque vide de toute intention afin de pouvoir les accueillir toutes.

«Ne pas anticiper par la pensée ce que seule l’expérience (physique) peut enseigner est un principe de base de l’éducation Japonaise.»
Pierre  Delorme

C’est alors qu’il commence à toucher la matière. Il la touche et la transforme au gré de ses sensations jusqu’à ce qu’elle devienne une partie de lui-même. Au bout de son chemin, il touchera deux fois; une première fois la matière et une seconde fois l’esprit de ceux qui regarderont la matière transformée par son pouvoir créateur.

Le sens par lequel nous percevons les choses, par contact ou palpation, s’appelle le  toucher. Mais « toucher » c’est aussi émouvoir, attendrir, concerner  quelqu’un. Le toucher est une arme extraordinaire pour qui sait s’en servir. Il a le pouvoir de rapprocher les gens et de les transformer.

Le  créateur d’illusions a, lui aussi, ce pouvoir de transformation qui passe par le toucher. Sa matière à lui sont les esprits de ses spectateurs. Ses outils sont les accessoires que ses mains manipulent pour altérer la matière vivante qu’il a en face de lui.

Les cartes, les pièces ou une boîte mystérieuse ont le pouvoir d’éveiller différents sentiments et d’aider à sculpter leurs esprits. Son instrument principal est son corps qui lui offre toute une série d’avantages :
Il y a sa voix qui se glisse à l’intérieur de ceux qui l’écoutent. Sa voix qui peut devenir douce, chaude ou tranchante. Puis, il y a les mots qu’il utilise et qui se mettent au service de l’humour, du drame ou de la poésie qu’il veut faire naître dans l’esprit de ses spectateurs.

«Entendre la parole, en effet, c’est d’abord en reconnaître le son, c’est ensuite en retrouver le sens, c’est  enfin en pousser plus ou moins loin l’interprétation : bref, c’est passer par tous les degrés de l’attention et exercer plusieurs puissances successives de la mémoire.»
Henri Bergson

Il y a son visage qui peut transmettre des sentiments tels que l’amour, la haine, la surprise. Son visage qui dévoile passagèrement ses intentions et ses humeurs. Son visage qui n’est pas pour lui mais pour celui qui le regarde.

Il y a ses gestes qui sont là pour continuer, souligner, terminer une action du corps mais qui peuvent aussi achever un texte en lui donnant une signification supplémentaire. Le geste peut même devenir un langage à lui tout seul.

Il y a son silence qui n’est  pas neutre, qui n’est pas du repos, mais qui est le moment dans le temps où l’action intérieure vit, la sienne mais aussi celle du spectateur. Elle n’est plus simplement physique mais psychique. Elle ne concerne plus uniquement le corps mais l’esprit et la pensée. Tous ces outils servent à transformer une réalité et à toucher ceux qui la voient. Toucher et pouvoir toucher est le but final de son travail.

L’art scénique ne meurt pas à la fin du spectacle, au contraire, il vit et se transforme au gré des années si, entre le créateur et son public, il y a eu un échange, une écoute, une communication. Le façonnage de l’esprit du spectateur existe lorsque «l’artisan-sculpteur» a pu le pénétrer pour y travailler. Une belle ouverture  d’esprit de la part du spectateur facilite ce travail. Mais au delà de cette ouverture, qu’elle soit grande ou petite, si le spectateur ne reçoit pas ce que l’artisan a voulu lui transmettre, la sculpture de son esprit risque d’être inachevée.

Ne nous y trompons pas, dans chaque art scénique, il y a différentes lectures. Tous les esprits ne peuvent pas être sculptées de la même façon. Certaines matières sont plus dures, d’autres plus friables. L’artisan doit pouvoir s’adapter pour que son ouvre finale voit le jour.

Dans un spectacle où des spectateurs de différents horizons se rejoignent pour vivre une émotion en commun, l’artisan sculptera les esprits de chacun en même temps avec tout ce que cela sous-entend comme résultat. La diversité est belle. La seule contrainte qu’il a est de s’assurer que ses spectateurs ont compris ce qu’il a voulu transmettre à travers son spectacle. Si le public ne perçoit pas ce que l’artisan a voulu dire, c’est que quelque chose ne fonctionne pas dans l’utilisation des outils avec lesquels il travaille.

Même si l’artisan pense que ce qu’il fait est juste, le public reste et restera toujours le meilleur baromètre de son spectacle. C’est au public qu’il offre ses créations, c’est le public qu’il doit écouter. Le spectacle « vit » par sa  présence, il est le miroir vivant de son triomphe ou de son échec. Il n’est  pas simplement la base de son travail mais aussi la finalité de son art.

S’il parvient à toucher et à sensibiliser ses spectateurs, il leur laissera une emprunte indélébile de son passage dans leurs vies. C’est à ce moment qu’il aura réussi ses «sculptures ». Ses illusions seront alors mémorables et sa personnalité inoubliable. Et au fil des années de travail, il prendra enfin conscience de cet extraordinaire pouvoir de transmission de bonheur qu’il possède.

Mais pour arriver à ce stade de maturité artistique, il doit être patient car le chemin est long avant de pouvoir utiliser adroitement et efficacement tous les outils qu’il a à sa disposition pour travailler son  art. Et peut-être qu’un jour, à force de travail et de persévérance, il deviendra alors « artiste »!

Un artisan on peut s’en souvenir mais un artiste on ne peut pas l’oublier !

Merci à Bruno SANVOISIN pour la relecture.

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Carlos VAQUERA
Localisation : Bruxelles Age : 44 ans Profession : artisan de l'illusion Spécialités : aucune mais tente de faire de mon mieux Publie dans la Circular de l'Ecole Magique de Madrid, dans Imagik, dans la Revue de la Prestidigitation et dans Arcane. " C'est Youki qui m'a introduit (sans jeux de mots ni de mains) à l'art de la magie et c'est Arturo de ASCANIO qui fut ma première révélation." "J'ai eu l'immense privilège d'être à côté de Roberto GIOBBI, Aurelio PAVIATO et Pedro LACERDA l'un de ses fils spirituels." "(Dans cette grande famille, on retrouve en tant que frère spirituel d'Arturo : Juan TAMARIZ, John THOMPSON et Bernard BILIS) - eh oui, je me sens tout petit... Je suis un touche à tout. Certains diront que c'est s'éloigner de l'art qu'on a choisi de pratiquer. Moi je pense que c'est l'enrichir en prenant des routes secondaires qui sont parfois plus belles que les autoroutes ou les routes principales."