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[Réflexion] Entre chien et loup


Christian GIRARD

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Il y a même moyen de faire un effet magique (fantastique) sans utiliser le moindre tour. Voir à ce sujet "Entre Chien et Loup".

Il est indispensable de lire attentivement ce conte avant de s’attaquer à mes commentaires, cliquez ici :

http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites/index.php/2007/10/10/59989-surnateum

Entre chien et loup est une histoire remarquable. L’expression, relative à ce moment de la tombée du jour qui se superpose à l’obscurité naissante (ou lui laisse place, c’est selon), est ce moment de flottement temporel lors duquel il est difficile de distinguer le chien du loup (au figuré : l’animal de compagnie fidèle de la bête féroce et sanguinaire), cette bande interstitielle un peu indéfinie entre deux états de la journée eux bien distincts (le jour plutôt éclatant et la nuit fatalement obscure), cette zone crépusculaire dont le sens réel est plus proche de celui du titre original de la série fantastique The Twilight Zone que de sa traduction en français (La Quatrième Dimension). Il y a de l’indéterminé, de la menace dans l’air…

Si en soi résonne cette maxime, « l’homme est un loup pour l’homme » (Homo homini lupus, Thomas Hobbes), la première idée qui vient à la lecture de l’histoire est celle du lycanthrope (ou loup-garou, forme pléonastique mais communément admise, je vous renvoie à la terminologie en lien plus bas). C’est l’une des richesses de ce conte de Christian Chelman que d’ouvrir à plusieurs plans d’évocation par le conteur et donc de perception par le public (Dans la tradition des ouvrages de Perrault, Andersen et autres Grimm, mais peut-être aussi dans l’esprit plus décalé des Tales from the Crypt, ne serait-ce pas un joli titre de recueil que Les Contes de Chelman ?).

En réalité il s’agit d’une histoire traitant via ce comte hongrois du thème des vampires psychiques (bien plus dangereux et présents que ceux censés se nourrir de sang) que j’appelle souvent pour ma part des vampires psychoaffectifs, un sujet qui tout autant que ceux de la manipulation mentale et de la perversion narcissique m’intéresse et pour lesquels j’interviendrai probablement un jour ou l’autre dans ce forum, si j’ai le temps et l’envie. En général, la seule évocation du vampire en question fait se lever les boucliers de sa garde rapprochée : Dracula (qui lui-même se transforme en loup dans le roman de Stocker) a aussi cette faculté de commander aux loups. Ces loups défenseurs du monstre se comportent alors plus comme des chiens obéissants et tout acquis à la cause de leur maître, quoique persuadés d’agir via leur libre-arbitre alors qu’ils ne sont déjà que des marionnettes inconscientes œuvrant sous la volonté d’un autre.

Néanmoins, il y a un point de l’histoire qui ne cesse de m’interroger, peut-être que CEDmagic pourra m’aider à comprendre et me dire si un élément scénographique permet d’interpréter au mieux cette phrase-ci :

« C’est alors que j’eus une idée pour le moins originale. Si elle fonctionnait, le joueur adverse allait être vraiment surpris… »

Dans la suite du conte (hongrois ? ;) ), je ne vois pas le Collectionneur/narrateur agir en fonction de « son » idée qui reste un mystère (peut-être est-ce voulu que ceci également se situe entre chien et loup), la fin de l’histoire témoigne juste de ce que le joueur d’échecs « continue de se faire manger » ses pièces et qu’un cas figure particulier des pièces sur le plateau, un cas qui semble dû au hasard, entraine une chute extraordinaire à l’histoire. Cependant, si le joueur perd réellement et qu’il est mentalement vidé (il est décrit comme un « zombie anémique » !), on a du mal à comprendre comment il pourrait contrôler cette phase finale du jeu. On suppose que le narrateur lui a suggéré une stratégie particulière et que le joueur, se fiant uniquement aux recommandations du narrateur car trop vidé pour penser, a finalement trouvé un restant de résistance pour se mettre quelques instants au service (ou sous le contrôle) de son ami le Collectionneur. Je pense qu’il serait bon d’être un tout petit peu plus explicite sur cette phase finale, peut-être d’une phrase qui nous donnerait un élément de l’idée du Collectionneur, par exemple celle qui consisterait à utiliser le potentiel du joueur et surtout sa capacité à user « des coups les plus retors » (je cite) pour réveiller le loup qui est tapi en lui ?

À titre personnel, je vous recommande la lecture de La Défense Loujine de Vladimir Nabokov qui traite d’une solution particulière trouvée par un joueur d’échec pour échapper au vaste jeu de la vie dont il estime être une pièce (une pièce « attaquée », ça va de soi). Je pense qu’il serait possible voire souhaitable d’intégrer en un point de l’histoire le terme selfmate (ou sui-mate, mais il semble préférable de ne pas traduire par un néologisme risible comme "auto-mat" mdr ) qui désigne « un problème d'échec très particulier, aussi ardu que paradoxal, consistant à obliger le camp adverse à gagner ». Voici donc ce que pourrait suggérer le Collectionneur à son ami, juste un mot, murmuré au creux de son oreille, « Selfmate... » (« a move that will cause a player's king to be mated within a certain number of subsequent moves »), un suicide stratégique qui donnerait d’ailleurs un sens supplémentaire à l’apparition finale de la croix. Peu importe d’ailleurs que le mouvement des pièces soit conforme ou pas à une réelle solution d’un problème de type selfmate, c’est l’idée du sacrifice stratégique qui compte (hongrois ? ;) ).

L’idée finale du conte, au-delà de ce qu’il est parfaitement possible de mettre à bas un vampire psychique (notamment en l’exposant symboliquement à la lumière, c'est-à-dire en révélant ses failles ou sa vraie nature), est qu’un échec apparent et indiscutable peut être le masque d’une éclatante victoire pour peu que l’angle d’attaque soit latéral. On peut se jouer des échecs !

Christian Girard 27 octobre 2010

Lycanthrope :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lycanthrope

Thomas Hobbes :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Hobbes

La Quatrième Dimension :

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Quatri%C3%A8me_Dimension_(s%C3%A9rie_t%C3%A9l%C3%A9vis%C3%A9e)

Vampire :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vampire#Liens_avec_le_monde_animal

Thérianthropie :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9rianthropie

Batthyány :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Batthy%C3%A1ny

La Défense Loujine :

http://classes.bnf.fr/echecs/litt/nabokov.htm

Selfmate :

http://en.wikipedia.org/wiki/Selfmate

checsmarionnette.jpg

Source image : http://tootsimages.centerblog.net/

Modifié par Christian Girard
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Petites notes:

- Cet histoire fait partie d'un ensemble d'animations et d'histoires sur le thème des vampires. Le Conservateur donne ce conte à jouer à ses étudiants en magie bizarre. Je l'avais déjà fait remarquer dans un post précédent.

- Le comte hongrois (?) est une référence à Károly Batthyány qui a occupé le château de Farciennes (Tergnée) au XVIIIème siècle avec sa famille. En pleine période de l'hystérie vampirique du dix-huitième siècle. En 1851, les nouveaux propriétaires du château firent abattre la Chapelle. On découvrit 5 tombes (2 adultes et 3 enfants) transpercés de pieux de métal.

Ce château (à l'abandon et qui tombe en ruine dans l'indifférence générale, un peu à l'image de la Belgique), est appelé "le Château des Vampires". Pour info, quelques objets en provenance de ce château (et plus que probablement à Batthyány) ont trouvé refuge au Surnatéum.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Batthyany

http://www.chateaudefarciennes.sitew.com/Chapelle_de_Tergnee.D.htm#Chapelle_de_Tergnee.D

- Le Collectionneur suggère probablement la chose à son ami. Ce dernier, ne pouvant plus gagner, peut trouver encore assez d'énergie pour transformer la défaite en victoire. Après tout, gagner ou perdre n'est jamais qu'un point de vue. Le selfmate est une excellente idée.

- Les pièces d'un jeu d'échec de bistrot sont en buis, bois réputé pour chasser les démons. L'histoire fait vraiment référence à des superstitions anciennes.

- "L'ami" serait Vincent Devignez (magicien et peintre fantastique bruxellois déjà cité dans LU) qui a occupé pendant des années la Taverne du Greenwich, abreuvoir des cartomanes bruxellois d'une époque désormais révolue.

- Le texte fait également référence au texte - et au vampire psychique - de Edgar Allan Poe: "l'homme des foules" (d'après la traduction de Baudelaire).

- Je pense aussi que le texte évoque d'autres vampires, bien plus contemporains. Il montre qu'on peut utiliser plusieurs niveaux d'écriture dans le même texte. Le texte montre également qu'un effet magique n'est pas nécessairement un tour.

- Plutôt que "les contes de Chelman", je verrais bien un titre du genre "Fabula Hermetika". mdr

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  • 2 weeks plus tard...
[L’idée finale du conte, au-delà de ce qu’il est parfaitement possible de mettre à bas un vampire psychique (notamment en l’exposant symboliquement à la lumière, c'est-à-dire en révélant ses failles ou sa vraie nature), est qu’un échec apparent et indiscutable peut être le masque d’une éclatante victoire pour peu que l’angle d’attaque soit latéral. On peut se jouer des échecs !

Christian Girard 27 octobre 2010[/size]

Le vampire psychique s'entoure de minions...

[video:youtube]http://www.youtube.com/watch?v=jo9-bcbLn1Q

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  • 1 année plus tard...
- Le texte fait également référence au texte - et au vampire psychique - de Edgar Allan Poe: "l'homme des foules" (d'après la traduction de Baudelaire).

016pb.jpg

Source : Édouard Manet (1832-1883)

Portrait d'Edgar Poe

Dessin, XIXe siècle

http://classes.bnf.fr/ecrirelaville/grand/016.htm

L'Homme des foules, à lire ici :

http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Homme_des_foules

Deux extraits parmi d’autres qui ne manquent pas de sel dès lors qu’on opte pour une vision vampirique du texte :

Cette rue est une des principales artères de la ville
Pendant une demi-heure, le vieux homme se fraya son chemin avec difficulté à travers la grande artère

:crazy:

En conclusion, Poe écrit :

« Ce vieux homme, — me dis-je à la longue, — est le type et le génie du crime profond. Il refuse d’être seul. Il est l’homme des foules. Il serait vain de le suivre ; car je n’apprendrai rien de plus de lui ni de ses actions. Le pire cœur du monde est un livre plus rebutant que le Hortulus animæ, et peut-être est-ce une des grandes miséricordes de Dieu que es lasst sich nicht lesen, — qu’il ne se laisse pas lire. »

Certains hommes comme certains livres ne se laissent pas lire et emportent avec eux leurs secrets dans la tombe. Quant à l’obscur Hortulus animæ dont il est question également dès le début de la nouvelle, il est référencé dans Wikipédia, voici le lien :

http://en.wikipedia.org/wiki/Hortulus_Animae

hortulusanimae2cpolonic.jpg

(C’est drôle, on dirait des pieux accrochés au mur du fond et, à droite, un gars qui sort d’un cercueil… ;) )

C.G.

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  • 1 année plus tard...
  • 2 weeks plus tard...

A différents moments de l'année, certaines routines sont retravaillées et mises en valeur au Surnatéum. Pour l'instant j'améliore et joue cette histoire.

Le point de départ est le portrait au crayon* d'un monsieur à forte personnalité, réalisé en 1908... Je ne rentrerai pas dans les détails, je réserve ça aux visiteurs du Cabinet de Curiosités qui se feront raconter l'histoire.

Il est à signaler que lorsque la démonstration physique commence, le Roi Blanc peut être mise échec en 1 coup, un bon joueur d'échecs le remarquera immédiatement.

Le texte a donc légèrement été modifié pour indiquer que le comte a un plaisir sadique à faire durer la chute de l'adversaire en lui "mangeant" le maximum de pièces. A chaque pièce "mangée", Vincent s'affaiblit.

Enfin, il est possible de terminer en annonçant échec et mat, puis en laissant passer la séquence de la croix. Quand le comte quitte précipitamment la table, son Roi peut tomber tout seul, comme si c'était lui qui avait été mis en échec.

Mais j'hésite à utiliser cet effet.

*Le vampire ne pourrait pas être photographié, mais bien dessiné.

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