Désapprendre, ressentir et créer

La base de toute interprétation se situe dans la façon d’être de tout votre corps, de la racine des cheveux au bout de l’ongle du gros orteil. Un bon moyen de travailler son corps est de commencer par travailler nu face au miroir (en évitant les lieux publics, si possible). Enlevez vos vêtements et exécutez votre routine préférée, celle ou le texte et la gestuelle sont tellement inscrits en vous que vous n’avez pas à réfléchir.

Faîtes le et observez. Regardez comment bouge votre ventre, vos mains, vos pieds. Faîtes le 3 fois en essayant de reproduire exactement la même chose, impro interdite !

Prenez du plaisir à faire cet exercice et petit à petit grossissez le trait : Parlez plus fort à chaque fois en articulant le plus distinctement possible quitte à hacher les syllabes, faites des gestes plus amples, jouez avec les expressions de votre visage puis allez de plus en plus vite jusqu’à perdre tout timing magique en gesticulant comme un forcené et en beuglant le texte (toujours très articulé) tel un aliéné.

Le principe de l’exercice est de vous faire atteindre votre maximum, quand vous pensez être à ce maximum, continuez et faîtes plus !!! Si vous étiez vraiment à votre maximum, vous ne devriez plus être capable de penser : c’est votre corps, épuisé, qui vous dira quand vous arrêter. Cet exercice doit vous permettre de découvrir votre caricature. La maîtrise de cette part de votre jeu sert à affirmer votre « présence ».

Dès que l’exercice de grossissement du trait est terminé, soufflez, puis passez à l’exercice inverse : réduisez votre personnalité. Sur le même mode que l’exercice précédent, gommez tous les signes de votre personnalité, parlez de la façon la plus neutre possible, économisez vos mouvements, contentez-vous d’exprimer le minimum d’émotions puis plus d’émotions du tout.

Imaginez que vous n’êtes plus un humain, vous êtes un légume, un poireau par exemple et un poireau qui fait de la magie n’exprime pas d’émotions ! Efforcez-vous de ne pas vous faire rire vous-même en faisant l’exercice : VOUS N’ETES PAS VOTRE PUBLIC !

De plus, si effectivement vous êtes ridicule, comme ça, à poil devant votre miroir, personne n’en sait rien et rassurez-vous, vous n’êtes pas moins ridicule que quand vous êtes assis sur la cuvette des toilettes, la porte grande ouverte, en train de lire le journal télé.

Une fois ces deux exercices terminés, faites un mélange des deux, découpez votre scène pour être parfois « maximum » et parfois « minimum » dans la même routine. Ce n’est pas simple pour tout le monde de passer aussi rapidement d’un état à l’autre. Pour mieux y arriver, imaginez que vous avez un bouton on/off dans le cerveau et que vous l’actionnez à votre bon vouloir.

L’exercice est terminé ? Très bien ! Vous avez, en le faisant, désappris à parler comme vous le faisiez, ressenti de nouvelles sensations et créé un nouveau personnage : Le magicien totalement schizophrène ! (un cousin du « mentaliste psychopathe » de Hugo ?)

Cet exercice de « minimum / maximum» peut être adapté à la plupart des questions du « Qui suis-Je ? » . Vous pouvez ainsi travailler chaque tic, accent, défaut, qualité, etc.… en partant d’un point neutre pour monter à l’extrême caricature dans le but de trouver le ton juste.

 

La posture

Maintenant, ça suffit, rhabillez-vous ! Votre femme, vos enfants, votre père, votre mère ou votre chien (au choix) pourrait rentrer et vous aurez du mal à lui expliquer que vous êtes en train de travailler votre magie (pourtant…) .
On va désormais essayer de bosser sur la posture, c’est-à-dire votre démarche, votre gestuelle, votre tenue corporelle globale.

C’est là un des écueils que doit surmonter le magicien puisque la magie, dans certains tours, fait appel à une gestuelle précise.

Difficile, en effet, de faire partir correctement quelque chose au topit si la gestuelle de votre personnage est très lente voire carrément statique. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, il faut d’abord se créer une attitude corporelle crédible en rapport avec le personnage que l’on veut créer.
Cette attitude dépend de nombreux paramètres : les réponses aux questions du « qui suis-je ? », le mode de jeu choisi, la magie que vous voulez pratiquer sont ces principaux paramètres.

Les questions du « qui suis-je ? » : vous êtes seul à avoir les réponses. Mais si vous vous êtes choisi un personnage plutôt âgé, il est sûr qu’il ne vaut mieux pas sautiller sur scène toutes les deux minutes et avoir un débit de parole façon Joey Starr sous amphétamines.

Vous préférerez travailler la façon dont le dos est voûté, la démarche lente et la parole emprunte d’une grande sagesse. Chacune de vos réponses vous donne des indications, déterminez si vous êtes rapide, comment se tiennent votre bassin, votre torse, votre tête et devenez votre propre sculpteur. Faîtes-vous une attitude, marchez et parlez avec cette attitude et allez vérifier face au miroir si cela est crédible.

Il y a aussi un exercice sympa à faire si vous travaillez à deux : donnez à l’autre le maximum d’information sur qui est votre personnage et demandez lui de vous sculpter à partir de ce que vous lui avez dit.

Vous restez sans bouger, neutre, et l’autre vous manipule, lève votre bras, baisse votre tête et vous fait prendre telle ou telle expression que vous gardez au fur et à mesure (comme un automate).

Inversez et c’est alors à vous de le sculpter tel que VOUS voyez votre personnage, cela vous donnera du recul par rapport à celui-ci en le visualisant sur le corps de quelqu’un d’autre. Vous pouvez ensuite refaire le même exercice avec le personnage de votre compère.

Le mode de jeu

On l’a vu, il est possible de jouer tragique, énigmatique, comique, etc.…
Votre posture doit s’adapter à votre style de jeu.

Dans un mode humoristique, un personnage de grand-père peut tout à fait péter les plombs et faire une cabriole d’acrobate, on l’acceptera d’autant plus que cela fera rire à cause du décalage entre les capacités normales d’une personne âgée et la prouesse physique créée par la situation dans le spectacle.

Vous devez en tout cas, faire corps avec votre personnage et le contexte dans lequel il évolue (cf. Qui-suis-je ?). Cherchez le style de votre personnage, sa vitesse et toute autre chose qui le rendra présent physiquement, qui lui donnera du charisme aussi.

Servez-vous de vos 6 sens. Oui, 6 ! Notre sixième sens a été très sérieusement découvert dans les années 70 par le docteur Oliver Sax, il s’appelle « la prégnance » et c’est la faculté que nous avons à nous repérer dans notre propre corps. Pour « sentir » ce sens, fermez les yeux et tendez l’index de la main droite droit devant vous.

Essayez maintenant de toucher l’ongle de l’index de la main droite avec l’auriculaire de la main gauche. Comment y êtes vous arrivé puisque vous aviez les yeux fermés ? Grâce à la prégnance !

Ne négligez pas ce sens, il vous permet de savoir comment est votre corps dans l’espace, ce qui est un peu important quand même si vous voulez vous montrer sur scène.

Travaillez ce sens les yeux fermés en faisant une série d’exercices simples : se taper dans les mains, sur les cuisses, toucher rapidement n’importe quel point du corps avec les doigts en enchaînant les touchers rapidement, etc.

Votre magie

Suivant la magie que vous souhaitez employer, la posture peut se révéler un atout ou un inconvénient. Un personnage très droit qui à une posture et un maintien des bras trop raide peut être handicapant pour certaines mises au topit par exemple. En revanche, si votre personnage est un timide, toujours en train de se toucher, de remettre en place son col, sa cravate, d’essuyer ces mains sur son pantalon cela peut faciliter d’autant les charges.

Intégrez votre magie à votre posture, pour cela, repérez vos gestes les moins clean, les plus louches et faites en des tics que vous allez reproduire dans l’attitude de votre personnage. En bref, faîtes de la magie même lorsque vous n’en faites pas.

 

Le Rythme

Il va falloir désormais donner un rythme à votre personnage et à ces actions pour éviter que le public ne se lasse et ne vous conspue. Attention, donner du rythme ne veut pas obligatoirement dire un rythme rapide, il s’agit plutôt d’harmonie entre vos actes, votre discours et le tempo sur lequel le public les découvre.

Une bonne méthode est de répéter en musique en essayant de coordonner ses actions, ses déplacements et son débit de paroles au tempo (on vous demande pas de danser, non plus !).

Ecoutez le beat, et tapez des pieds en rythme : vous êtes en train de taper le temps ! Essayez maintenant de taper les contretemps (le contretemps est le beat souvent non joué entre deux temps) Si vous n’y arrivez pas, c’est peut-être que vous êtes en train d’écouter du Jazz : c’est bon pour les oreilles mais c’est moins évident à décortiquer rythmiquement, prenez plutôt un bon vieux rock.
On va partir d’un principe simple :

  •  Temps = temps fort
  • Contretemps = temps faible

En habituant le public à ce que vos actions soient sur des temps forts, vous créez une attente et le public suit alors, inconsciemment, la musicalité de votre jeu.

En magie, si vous faîtes la révélation sur un temps faible, vous cassez le rythme du public et l’effet s’en trouve d’autant renforcé par cette brisure car il est arrivé sur un temps qui n’était pas attendu par les spectateurs.

Essayez aussi de numéroter l’ordre de vos mouvements sur le rythme (exemple ici avec deux mesures de 4 temps sur un mouvement de Slydini, je n’écris pas tout le processus, ceux qui connaissent comprendront d’eux même qu’il y a plus de 8 temps)  :

  1. je prends la boulette en main gauche
  2. je la dépose dans ma main droite
  3. je me place par rapport au spectateur
  4. je lance la boulette, elle disparaît pour le spectateur mais pas pour le public
  5. je prends la boulette en main gauche
  6. je fais un faux dépôt
  7. je me place par rapport au spectateur
  8. je lance la boulette, elle disparaît pour le spectateur ET pour le public

En ne jouant pas le temps 8 et en faisant la disparition sur le contretemps (entre 8 et 9), vous avez cassé la routine du public : l’effet est alors doublement inattendu.

Une fois que vous aurez bien travaillé en musique et que vous aurez repéré et placé vos temps forts et vos temps faibles, supprimez la musique, celle-ci restera dans votre tête.

Votre présentation devrait ainsi gagner en rythme et en fluidité mais continuez à répéter régulièrement en réajustant les temps en fonction des réactions du public que vous ne pourrez avoir, elles, qu’en vous jetant dans l’arène.

 

Conclusion

La création d’un personnage pour la magie est un chemin personnel passionnant qui allie les contraintes du théâtre et de la prestidigitation. Les deux arts se conjuguent et on s’aperçoit vite de la façon dont ils peuvent se renforcer l’un et l’autre. Vous pouvez aussi mettre en pratique les conseils plus hauts pour créer un autre vous-même.

Si vous éprouvez trop de difficultés à interpréter un personnage loin de votre personnalité vous pouvez vous contenter d’exacerber celle-ci pour lui donner une plus grande substance scénique. Si vous avez la chance de pouvoir travailler avec un metteur en scène/magie, cela reste quand même une des meilleures choses qu’il peut vous arriver.

J’espère que les lignes qui précèdent vous aideront à trouver votre voie, les conseils que j’y donne me viennent de mes professeurs de théâtre (que je ne remercierai jamais assez sauf un qui était un sale con) et de ma petite expérience de la scène et de l’art magique, ils sont cependant loin d’être exhaustifs et vous découvrirez, si vous vous engagez dans cette recherche, combien j’ai oublié de choses et à quel point on ne peut pas tout dire sur ce sujet en quelques pages.

Sur ce, bon travail et gardez précieusement en mémoire ce ver de Arthur Rimbaud : «Je est un autre».

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Merci à Bruno SANVOISIN pour la relecture.

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