“Le plastique est la première matière magique qui consente au prosaïsme ; mais c’est précisément parce que ce prosaïsme lui est une raison triomphante d’exister: pour la première fois, l’artifice vise au commun, non au rare.”
Roland BARTHES[1].

Dans un récent compte-rendu, le TOPMAGICARNO exprimait son regret de voir que le casse-tête baptisé “Wonder Box” ou encore “Puzzle Box”, vendu il y a encore quelques années dans un modèle confectionné en bois pour un prix d’environ 300F, était désormais commercialisé en Plexiglas (50F).

Dans le même ordre d’idée, l’auteur écrivait préférer au modèle en plastique (moins de 100F) du tour des boîtes gigognes celui en métal (400F).

De fait, sous l’impulsion de firmes telles que TENYO, on assiste à une véritable “gadgétisation” du matériel de prestidigitation.

Bien souvent baptisé d’un nom ronflant et rassemblant quelques accessoires en plastique de couleurs plutôt vives, s’emboîtant tant bien que mal les uns dans les autres. Un matériel est donc supposé passer pour un prodige aux yeux d’une assistance, ce dont on peut raisonnablement douter.

Comme le soulignait déjà Henning NELMS (citant D. FITZKEE) :

“Les spectateurs contemporains vivent dans un monde rempli de gadgets magiques qui sont infiniment plus étonnants que tout ce que peut leur offrir n’importe quel magicien. Une femme possédant un transistor sait qu’il marche avec des piles. Sa curiosité s’arrête là. Pourquoi s’émerveillerait-elle si vous lui montrez une autre boîte magique ? Pour elle, ce ne sera qu’un ingénieux gadget de plus.”[2]

Le visiteur du présent site n’a très probablement jamais eu recours à ce type de “matériel”, mais on aurait tort, me semble-t-il, pour autant de ne pas prendre le problème en considération.

Ne serait ce que parce que cette “gadgétisation” s’étend de plus en plus à des tours du répertoire dit “classique” de la magie : on trouve ainsi des lots de muscades avec des gobelets plastiques aux couleurs criardes ; de même certains tours de scène se trouvent ainsi parfois miniaturisés : sans aller jusqu’aux “mini” grandes illusions, on peut penser à ces “sets” de petits anneaux chinois.

“Set”: car c’est bien cela dont il s’agit : on tend à une magie en kit.

Voir ces paquets de certaines firmes américaines (décorés d’ailleurs à la manière pimpante des kits informatiques) et qui fournissent l’effet “killer”, “clef en main” : explications, vidéos et matériel [3].

Bien que l’argument du prix comme frein au débinage soit pernicieux – car c’est faire reculer un peu plus le fait que la valeur réelle d’un tour est tout entière contenue, non dans le secret (secret nécessaire mais pas suffisant), mais dans l’art de sa présentation -, on ne peut nier qu’une fabrication en plastique induit une baisse des coûts de fabrication et du même coup une large diffusion : on trouve ainsi en supermarché ces tours “tout plastique” vendus sous “blister”.

Et l’on voit fleurir à l’occasion de certaines foires ou festivités des étals vendant “Dynamic coins” ou encore une “Téléportation” de pièces. Et quand bien même ne voit-on pas là grand danger d’un possible débinage, il ne faut toutefois guère espérer pouvoir présenter ces effets sans s’entendre rétorquer par un spectateur “qu’il a vu le même truc à pas cher au marché du coin”.

D’aucuns rétorqueront qu’après tout, plastique ou non, peu importe puisque du point de vue du spectateur le mystère du tour est le même – et, pourquoi pas, de voir même dans ce recours à la matière plastique un signe de modernité.

Qu’on se convainque de la légitimité de ce soucis des matériaux utilisés pour fabriquer les accessoires de prestidigitation, non en regardant ces effets “gadgets”, sans intérêt pour peu qu’on a quelque foi en l’art de la magie, mais bien en songeant plutôt qu’après tout, la magie prétend, justement dématérialiser, déformer, atomiser et fusionner les matières.

Qui diable songerait à présenter une routine, mettons, de “pénétration” de la matière avec des accessoires en pâte à modeler ? Dans une routine de muscades, le bruit mat de gobelets en plastique qui s’entrechoquent ne dit rien : le tintement de deux gobelets métalliques, c’est déjà une impossibilité qui résonne aux oreilles du spectateur.

Moins que les considérations économiques précédentes, ce qui importe donc véritablement en magie, c’est que le plastique est précisément la matière de la réplication par excellence, c’est la matière du : l’objet plastique sitôt exhibé dit déjà qu’il possède une multitude de clones.

Outre le fait que le soit une arcane classique de l’illusionnisme[4], ce qui nuit c’est bien que l’objet perd tout mystère en abandonnant toute singularité et interdit par la même de le rattacher à toute tradition magique qui, elle, affectionne plutôt l’objet (d’un typique s’entendant ici comme le contraire du générique), soit l’obscure amulette, ou encore le pentacle rarissime.

Bien entendu, l’objet dit “courant” est un accessoire privilégié du magicien en tant qu’il désamorce à priori  tout soupçon : son caractère anodin signant sa (supposée) probité.

Mais ceci vaut, une fois encore, pour l’objet , (à entendre  courant) de sorte que l’incongruité même de certains de ces matériels tout en plastique est rédhibitoire à toute magie, ce que notait déjà Henning NELMS :

“Le magicien déclare qu’il est capable de lire les pensées d’autrui ou de repérer des objets dissimulés. A l’appui de ces prétentions, il exhibe quelques accessoires très particuliers qui, de toute évidence, n’ont pu qu’être fabriqués que par un marchand de trucs pour magiciens, et dont on chercherait vainement à quoi ils peuvent bien servir sinon à faire un tour. Le spectateur en choisit un ; les autres sont dissimulés d’une manière ou d’une autre. Le magicien annonce alors triomphalement celui qui a été choisi à son insu. Et ceci est censé prouver qu’il a des pouvoirs paranormaux ! En fait, du point de vue du public, cela prouve seulement qu’il a acheté un tour dans une boutique de magie”[5].

Citons à nouveau Roland BARTHES :

“Le plastique est tout entier englouti dans son usage”.

De sorte que, certes un objet en plastique n’est pas à prohiber à tout coup d’une présentation magique, mais il devra n’intervenir qu’à la condition expresse de se présenter comme d’usage courant : l’objet singulier, lui, ne saurait se départir d’une certaine noblesse de la matière.

En somme, pour paraphraser BARTHES, en tant qu’il vise au commun, le plastique s’accommode mal à la magie qui, elle, vise au rare.

Par ailleurs, les fabricants de trucs sont connus pour le bon goût en matière de décoration.

[1] Mythologies-Points Essais, p161.

[2] Magie et Mise en scène p150, Magix Strasbourg 1984 (édition en trois volumes).

[3]Cette “gadgetisation” d’ailleurs n’est pas pour déplaire, semble-t-il, aux marchands de trucs notoirement enclins à promouvoir dans leurs slogans la facilité sur le mode “Ca marche tout seul: tour au-to-ma-ti-que!”, “en cinq minutes vous serez à pied doeuvre: le matériel ingénieusement truqué fait tout le travail pour vous”, ou encore “Sans manipulation: un enfant de cinq ans y arriverait !”. Dans ces conditions le grand talent du magicien consisterait donc à avoir déboursé la somme voulue et à avoir su lire la notice d’utilisation. (Ce qui parfois, il est vrai, quand on découvre la piètre marchandise fournie pour un prix exorbitant, n’est pas sans dénoter d’une réelle témérité dans l’investissement, et d’un relatif effort d’imagination dans la compréhension du mode d’emploi).

[4] Dans une routine où un petit objet voyage magiquement et invisiblement d’un point de l’espace à un autre, et dont le serait un duplicata, on aura tout intérêt à choisir par exemple une petite sphère en bois sculpté: la richesse  même de la sculpture par le coût qu’elle entraîne en terme de travail- lequel est tout intuitivement supposé par  le spectateur-désamorcera l’idée même de duplicata. Ce détail de présentation est perdu si on présente la même routine avec un objet en plastique.

[5] p46.

Merci à Bruno SANVOISIN pour la relecture.

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