Effet

Il s’agit dans sa conception la plus simple d’un pari décidant, par exemple, de celui qui offrira l’apéro au bar.

Il est aussi possible en mentalisme de l’utiliser comme un forçage probabiliste, afin de présenter une expérience de prédiction d’un numéro, un test d’influence sur le participant…

 

Présentation

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“Avez-vous déjà été au casino jouer à la roulette, ou plutôt à sa forme simplifiée : la boule ? Cette dernière comporte 9 numéros représentés par les chiffres de 1 à 9.

Il est possible de jouer sur :

  • les numéros en plein (le gain est égal à 7 fois la mise);
  • sur les chances simples (le gain est égal à 1 fois la mise):
  • noir (1, 3, 6 et 8) ou rouge (2, 4, 7 et 9),
  • manque (1, 2, 3 ou 4) ou passe (6, 7, 8, ou 9),
  • pair (2, 4, 6, et 8) ou impair (1, 3, 7 et 9).

Il faut avoir présent à l’esprit que le numéro 5 n’est considéré à ce jeu comme ni noir, ni rouge, ni manque, ni passe, ni pair, ni impair.

Sur un grand nombre de coups, le casino est gagnant, le jeu étant déséquilibré en sa faveur : l’espérance de gain pour le joueur (c’est-à-dire ce que le joueur gagne ou perd en moyenne à chaque coup) est de -1/9 de la mise, et non de zéro, ce qui serait le cas si le casino et le joueur étaient sur un pied d’égalité.” (cf. calcul de l’espérance de gain au casino)

“Afin de rendre le jeu équitable, je vous propose donc d’une part d’éliminer le chiffre 5 et d’autre part de prendre un gain égal à la mise (celui qui perd paye l’apéro à l’autre).”

Le magicien écrit alors sur un morceau de papier les chiffres correspondant à manque (1, 2, 3 et 4) et sur un autre ceux correspondant à passe (6, 7, 8, ou 9).

“Vous allez choisir l’un des deux morceaux de papier.

Très bien, vous avez désigné le papier portant les chiffres 6, 7, 8 ou 9.

Vous allez maintenant choisir l’un de ces quatre chiffres ; c’est curieux, souvent les gens préfèrent le 7; mais vous êtes parfaitement libre.

En ce qui concerne les chiffres présents sur mon papier, 1, 2, 3 et 4, souvent c’est le 3 qui est sélectionné.

Mais aujourd’hui, je penche pour le 4…; et puis non, je vais prendre le 1.”

“N’étant pas dans un casino, nous remplacerons, si vous le voulez bien, la boule par un journal.

Vous l’ouvrirez au hasard sur une page, puis sans regarder vous désignerez un endroit en y faisant une marque avec un stylo et vous noterez le premier chiffre rencontré en allant dans le sens de la lecture.

Si c’est le chiffre que vous avez précédemment choisi, vous gagnez; si c’est le chiffre que j’ai précédemment choisi, je gagne ; sinon, vous recommencerez la procédure explicitée, et ce jusqu’à temps que soit votre chiffre, soit le mien sorte.”

Calcul de l’espérance de gain au casino

Si l’on appelle pour le joueur :

  • m la mise et g le gain,
  • p la probabilité de gagner, et donc 1-p celle de perdre,
  • E l’espérance de gain;

E = pg-(1-p)m

  • Si l’on joue sur les numéros en plein (g = 7m et p = 1/9):

E = 1/9x(7m)-(1-1/9)x(m) = -m/9

  • Si l’on joue sur les chances simples (g = m et p = 4/9):

E = 4/9x(m)-(1-4/9)x(m) = -m/9

Ainsi, que l’on joue sur les numéros en plein ou sur les chances simples, l’espérance de gain est égale à -1/9 de la mise.

La Loi de Bendford

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’apparition du premier chiffre d’un nombre n’est pas distribuée de façon équiprobable, mais selon la loi de Benford.

Elle stipule que le 1 apparaît plus fréquemment que le 2, qui apparaît lui-même plus fréquemment que le 3, etc. jusqu’à 9.

Cette loi établit que la probabilité f(n) pour que le premier chiffre d’un nombre soit n (non nul) répond à la formule suivante:

f(n) = log(n+1)-log(n)

Cette loi s’applique aussi bien aux nombres reflétant les phénomènes naturels comme les longueurs de rivière, les surfaces de pays, les périodes de désintégration radioactive…, que ceux découlant d’une construction humaine comme les cours de la Bourse.

Elle est indépendante de l’échelle : ainsi, les longueurs de rivière peuvent aussi bien être mesurées en mètres qu’en miles.

Pour les matheux, voici quelques précisions complémentaires : l’histoire commença quand quelqu’un découvrit que les premières pages des tables de logarithmes, souvent utilisées, étaient plus sales que celles de la fin ; maintenant, on en est à évoquer les fractales et la théorie du chaos pour expliquer cette loi…

Références bibliographiques

IAN S.

1 est plus probable que 9 !

Pour la Science, 1993, Nº 190, 94-98

 HILL T.

Le premier chiffre significatif fait sa loi

La Recherche, 1999, Hors Série Nº 2, 72-76

Application de la loi de Benford à notre jeu

On notera tout d’abord que la procédure explicitée ci-dessus, à savoir noter le premier chiffre rencontré, revient à sélectionner le premier chiffre du premier nombre rencontré (à moins, chose exceptionnelle dans un article, de pointer avec le stylo au milieu d’un nombre) : la loi de Benford s’y applique donc.

Ne sachant pas au départ comment mettre cette loi à profit, j’ai cherché dans diverses directions avant d’aboutir à la présentation décrite plus haut.

Les différentes valeurs de f(n) sont données dans la deuxième colonne du tableau ci-dessous. On peut constater d’une part que plus n augmente, plus f(n) diminue, et d’autre part que f(n) varie beaucoup quand on passe de n = 1 à n = 2, mais quasiment plus pour n = 6 à n = 9.

C’est de cette constatation que découle le choix la présentation décrite ci-dessus, lequel pourra maintenant être mieux compris.

La probabilité p(n) qu’a le magicien de gagner s’il a joué sur le 1, alors que le participant a joué sur une valeur n différente de 1 se calcule ainsi:

p(n) = f(1)/[f(1)+f(n)]

Les différentes valeurs de p(n) sont données dans la troisième colonne du tableau.

n f(n) p(n)
1 0,301
2 0,176 63,1%
3 0,125 70,7%
4 0,097 75,6%
5 0,079 79,2%
6 0,067 81,8%
7 0,058 83,8%
8 0,051 85,5%
9 0,046 86,8%
MOYENNE
(pour n = 6 à n = 9)
84,5%

 

Si le magicien a joué sur le 1 et le participant sur 6, 7, 8 ou 9, le premier a ainsi 84.5%, soit environ 85% de chance de gagner : à peu près 82% si le participant choisit le 6, jusqu’à peu près 87% s’il choisit le 9.

L’espérance de gain pour le magicien est donc égale à (rappelons que la mise m est égale au gain) 0.845m-(1-0.845)m = 0.690m, soit environ 0.7m.

Explication du processus opératoire

La comparaison avec le jeu de la boule a pour but :

  • de donner l’impression que tous les chiffres ont la même probabilité de sortie ;
  • de justifier l’élimination du chiffre 5 et d’utiliser les combinaisons 1, 2, 3 ou 4 (correspondant à manque), et 6, 7, 8 ou 9 (correspondant à passe).

Vous vous arrangez pour avoir le papier où sont inscrits les chiffres 1, 2, 3 et 4 grâce au classique “choix du magicien”.

Le laïus expliquant au participant que le 7 est souvent préféré a pour but de l’amener par réaction psychologique à sélectionner le 9 : il ne choisira en général pas le 7, ni chacun des deux chiffres l’encadrant.

Vous faites semblant d’hésiter, mais en fait sélectionnez toujours le 1.

Si le magicien choisissait son chiffre avant le participant, celui-ci serait peu enclin à sélectionner le 9, ce dernier se situant juste à l’autre extrémité par rapport au 1.

Enfin, les chances du magicien sont encore augmentées par le fait que des dates (années) apparaissent souvent dans les articles ; or, la grande majorité d’entre elles, concernant le vingtième siècle, sont de la forme 19– et commencent donc par 1.

Ce biais peut cependant entraîner une contestation du participant, si celui-ci se fait la remarque que de nombreuses dates sont présentes dans le texte.

Bien entendu, cette particularité va progressivement s’atténuer au fur et à mesure que les années 2000 vont avancer.

Remarque

On notera que l’on fait d’abord jouer le participant sur les chances simples (choix de l’un des deux morceaux de papier), puis qu’on l’amène ensuite à jouer sur les numéros en plein (choix de l’un des quatre chiffres) ; bien qu’illogique, cette démarche passe cependant très bien.

Afin d’éviter cette incohérence, on aurait bien entendu pu ne jouer que sur les chances simples (1, 2, 3, 4 pour le magicien et 6, 7, 8, 9 pour le participant, grâce au “choix du magicien”), en convenant si le chiffre 5 sort de recommencer autant que nécessaire : mais alors, la chance de gagner pour le magicien ne serait que de 75.9%, soit environ 75% (au lieu d’environ 85%).

En terme d’espérance de gain, celle du magicien ne serait plus que de 0.518m, soit environ 0.5m (au lieu d’environ 0.7m).

Recommandations

Ce jeu ne peut guère s’effectuer qu’une fois avec le même participant, sinon il sera difficile au magicien de justifier son choix systématique pour le 1.

  • Il est bon d’utiliser un stylo rouge, dont la marque sera bien visible.
  • Le journal doit évidemment comporter des nombres et si possible beaucoup ; un journal économique (comme La Tribune) est donc parfaitement approprié.
  • Le choix d’un article est parfait, car il suffit de suivre le sens de la lecture. Il serait tentant d’utiliser des tableaux de nombres (cours de la Bourse…), mais il me semble moins évident d’élaborer une procédure permettant de justifier sans ambiguïté la sélection du premier chiffre d’un nombre.
  • Enfin, il ne faut prendre en compte que les nombres écrits en chiffres arabes et non en lettres ou pire en chiffres romains ; en effet, écrits en chiffres arabes ils sont faciles à repérer dans un article et ne prêtent pas à confusion.
    Ainsi, par exemple pour le nombre mille deux cent quarante sept écrit en lettres, le premier chiffre qui est 1, ne saute pas aux yeux; alors que si on l’écrit en chiffres arabes (1247), cela devient évident.

Conclusion

Bien que la loi de Benford nous amène à des considérations mathématiques quelque peu subtiles, le processus opératoire est très simple.

Le magicien doit choisir le 1, et faire sélectionner le 6, 7, 8 ou 9 au participant (“choix du magicien”). La chance de gagner du magicien est d’environ 85%; son espérance de gain, c’est-à-dire ce qu’il gagne en moyenne à chaque coup, est d’environ 0.7 fois la mise. Ses chances sont en outre encore un peu plus fortes s’il réussit à faire choisir le 9 au participant (“forçage psychologique”).

Des développements plus mentalistes pourront, je l’espère, voir le jour en se basant sur ce principe.

En espérant que la boule de Benford ne vous aura pas définitivement fait perdre la vôtre…

PS

  • Merci à Grégoire VIASNOFF, qui m’a fait parvenir un premier article sur la loi de Benford, suite à une réunion des membres de Mindon Mania où j’avais évoqué ce sujet.
  • Un grand merci aussi à Jean-Marie RIOUX pour ses conseils et considérations mathématiques concernant la validité des calculs, en particulier au niveau des probabilités.

Article publié dans la revue Mindon Mania

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